25 février 1794 : Vancouver offre Hawaii à Londres, qui refuse cette annexion


La statue de George Vancouver orne un espace public, devant le “city hall” de la ville qui porte son nom au Canada.
Tahiti, le 16 octobre 2020 – Dans le grand Monopoly colonial qui se mit en place au cours du XIXe siècle essentiellement, la Grande-Bretagne fut sans doute la plus vorace dans le Pacifique Sud, largement devant la France et l’Allemagne par exemple. Et pourtant, hors de toute logique, Londres refusa de prêter la moindre attention à la prise de possession très officielle de Hawaii par George Vancouver le 25 février 1794. Un siècle plus tard, sans le moindre accord avec le pouvoir hawaiien, les États-Unis, en toute illégalité, mettront la main sur tout cet archipel alors que George Vancouver avait fait les choses en accord avec le jeune roi Kamehameha 1er et les autres chefs de Hawaii...


25 février 1794 : tout le monde a le sourire à bord du sloop anglais HMS Discovery dans la baie de Karakakooa, à une encablure de la côte de l’île de Hawaii : George Vancouver, au terme de trois années de négociations pour ramener la paix dans l’archipel, lors de ses trois hivernages alors qu’il explorait la côte nord-ouest des États-Unis et du Canada, vient d’obtenir, devant le lieutenant Peter Puget, commandant lui-même la HMS Chatham, et tous les officiers de l’expédition l’accord unanime des chefs hawaiiens pour que la Grande-Bretagne prenne possession de la grande île volcanique, seul moyen selon Vancouver de ramener la paix dans l’archipel en éteignant les guerres intestines permanentes, alimentées par tous les trafiquants fournissant armes et alcool aux belligérants. Ensemble, les chefs hawaiiens s’exclamèrent à l’unisson : “Il n’y a plus de tanata o Hawaii, le peuple de Hawaii ; mais des tanata de Bretagne, le peuple de Bretagne”.

Plume rouges et jaunes...

Un portrait de George Vancouver qui fut reçu très fraîchement à son retour en Angleterre, malgré le fait qu’il apportait Hawaii dans ses valises...
La négociation avait été longue, incertaine, mais l’aura dont bénéficiait George Vancouver lui permit de mener à bien son projet et d’obtenir du roi Kamehameha 1er, mais aussi de Kalaimanahu (de Hamakua), de Ke’eaumoku (de Kona), de Keaweheulu (de Ka’u), de Kai’ana (de Puna), de Kameeiamoku (de Kohala) et enfin de Ka’ahumanu, proche allié de Kamehameha, le don de leur nation au roi Georges.

Les chefs, arrivés un par un à bord de la Discovery, avaient revêtu leurs plus beaux atours, habillés de leurs précieuses capes en plumes rouges ou jaunes et de leurs casques de même couleur. Vancouver et ses officiers étaient, eux aussi, en grande tenue tant l’événement leur paraissait majeur. Et il l’était et aurait pu changer l’histoire du Pacifique et de l’Océanie... Mais un an plus tard à Londres, une douche glacée calma l’enthousiasme de l’explorateur...

Jusqu’aux glaces du grand Sud

Anecdote du passage de Cook le long de l’Antarctique : le jeune Vancouver, qui était du voyage, se positionna sur le bateau, au moment du demi-tour, de manière à être l’Européen descendu symboliquement le plus au sud de la planète...
Revenons à George Vancouver dont la naissance remonte au 22 juin 1757, dans le port de King’s Lynn (Norfolk). On est en droit de croire que le petit garçon n’était pas né dans l’infortune puisque son père, John Jasper Vancouver, était collecteur des douanes sur ce même port, son épouse, Bridget Berners, s’occupant de leurs six enfants dont George, le petit dernier. Très vite, le jeune garçon fut fasciné par l’activité bourdonnante sur les quais et par les bateaux allant ou revenant de destinations plus ou moins lointaines.

A 13 ans, avec l’appui paternel, il prit la mer, non pas dans la marchande, mais dans la royale, au service de Sa Majesté. S’il ne put, en 1772, participer au premier voyage du capitaine Cook, il rencontra l’explorateur à son retour en Angleterre et se vit enrôlé dans son équipage pour sa seconde exploration du Pacifique, à la recherche du continent austral. Vancouver rejoignit le bord de la Discovery le 22 janvier 1772, figurant sur le rôle de l’équipage comme simple “matelot habile” (able seaman), alors que d’autres midships, comme lui, étaient engagés comme “volontaires” ou même comme “servants du capitaine”.
Ces jeunes hommes étaient considérés comme de futurs officiers ; ils suivaient des cours (navigation, trigonométrie, etc.) mais dans le même temps devaient accomplir les taches des simples matelots, une manière de savoir, plus tard, de quoi ils parleraient quand ils auraient des fonctions de commandement.
Le 30 janvier 1774, Vancouver eut la surprise de constater que la Discovery et la Resolution étaient presque prises dans les glaces, par 71° de latitude sud. Enthousiasmé par cette expérience, Vancouver se rendit à l’extrémité du navire avant qu’il ne fasse demi-tour, se vantant plus tard d’avoir ainsi été l’homme étant descendu le plus près du Pôle Sud !

Mort tragique de James Cook

Faute de continent austral accessible, Cook rentra en Angleterre bien décidé à repartir, ce qu’il fit le 18 mars 1776 avec, cette fois-ci, un aspirant à part entière, Georges Vancouver, plus que jamais décidé à servir le capitaine Cook. Il figurait sur le rôle de la HMS Discovery, compagnon de l’autre navire de Cook, la Resolution. Via le cap de Bonne Espérance, les Britanniques arrivèrent à Bora Bora en décembre 1777, avant de se retrouver, un mois plus tard, devant les côtes de Oahu, aux îles Sandwich (qui ne s’appelaient pas encore Hawaii). Les navires ne s’attardèrent pas, dépassèrent Kaua’i et finalement marquèrent une escale de quelques jours sur la petite île pelée et aride de Ni’ihau avant de mettre les voiles en direction de la côte nord-américaine, celle-là même dont l’exploration, bien plus tard, fit la renommée de Vancouver.

En novembre 1778, Cook était de retour aux Hawaii pour son hivernage, ce qu’il tenta de faire en jetant l’ancre à Kealakekua Bay, le 17 janvier 1779. La suite de l’histoire est connue, le 14 février James Cook était attaqué par les indigènes et tué ; celui qui avait été traité par le passé en demi-dieu trouva ainsi la mort, le crâne fracassé, n’ayant pu échapper à ses agresseurs ; Ce que l’on sait moins (voir notre encadré) c’est que des signes avant-coureurs d’hostilité avaient été envoyés par les Hawaiiens, qui, la veille du drame, avaient notamment attaqué George Vancouver...

Sept ans dans les Caraïbes

Tianna était un grand chef hawaiien souhaitant s’emparer des navires de Vancouver. De son vrai nom Ka’iana, il avait eu l’occasion, en 1797, de voyager jusqu’en Chine à bord d’un navire de commerce (le Nootka, capitaine John Meares).
Le capitaine Charles Clerke prit la tête de l’expédition, fit le plein de provisions à Kaua’i et fit voile vers l’Alaska pour tenter de trouver le fameux passage du nord-ouest. L’accueil à Kaua’i fut aussi cordial que possible, le chef de l’île demandant même à Vancouver, en souvenir, de lui donner une mèche de cheveux, ce qui lui fut rappelé treize ans plus tard, lorsque Vancouver, cette fois-ci en tant que commandant d’une expédition, revint dans l’archipel. Ce geste apparemment sans importance montre combien, à titre personnel, le jeune aspirant sut toujours se faire apprécier de ses interlocuteurs hawaiiens.

A 23 ans, en octobre 1780, après quatre années passées à la mer, Vancouver retrouva sa terre natale.
Deux semaines plus tard à peine, il réussissait avec brio son examen de lieutenant, son diplôme lui étant remis le 19 octobre 1780.
Vancouver passa les sept années suivantes à sillonner la mer des Caraïbes, tout en montant en grade.
La mort de Cook avait, bien entendu, fortement choqué l’Amirauté, mais en 1790, il fut décidé que les explorations menées par le défunt Cook devaient être poursuivies ; et pour cela, aucun jeune officier apte au commandement n’était plus indiqué que Georges Vancouver, alors âgé de 33 ans.

Retour dans le Pacifique

Le Discovery lors de son périple qui l’amena dans les eaux de l’île du sud de la Nouvelle-Zélande, s’est retrouvé sur les rochers à Queen Charlotte’s Sound.
Le 15 décembre 1790, Vancouver reçut sa lettre de mission, en tant que commandant de la toute nouvelle HMS Discovery, officiellement cataloguée sloop de guerre et mise à l’eau le 19 décembre 1789. Le navire de 340 tonneaux mesurait un peu moins de cent pieds et son équipage était composé d’un peu plus de cent hommes (dont le Hawaiien Towereroo (probablement Kualelo) que le capitaine Charles Duncan avait amené à Londres ; la Discovery était accompagnée pour cette longue exploration de la HMS Chatham (135 tonneaux) commandée par le lieutenant Robert Broughton. Plus tard, un troisième navire, servant de magasin d’approvisionnement, fut envoyé dans le sillage de Vancouver, le Daedalus (commandant Richard Hergest). Les trois navires firent leur jonction à Nootka Sound (voir encadré ci-dessous).

La mission confiée à Vancouver était complexe car outre la recherche d’un passage au nord du Canada (vers l’Atlantique), il devait inspecter la côte ouest des deux Amériques, recenser les éventuels comptoirs commerciaux étrangers établis sur cette côte et vérifier de quelle manière les Espagnols respectaient leurs engagements après la signature du traité dit “Nootka Sound Convention”, signé entre la Grande-Bretagne et l’Espagne, réglant le commerce et la navigation dans ces eaux. La base de départ de Vancouver devait être les îles Sandwich qui seraient également le cadre des hivernages de l’expédition, compte tenu des rigueurs du climat sur la côte nord-ouest des Amériques.

Tahiti en décembre 1791

On doit à George Vancouver une découverte importante, l’île de Rapa dans l’extrême sud de l’actuelle Polynésie française. L’Office des postes lui a rendu hommage avec ce bloc.
Parti d’Angleterre début janvier à bord de la Discovery (début février pour la Chatham), via l’Australie et la Nouvelle-Zélande, Vancouver atteignit Tahiti le 29 décembre 1791 après avoir découvert, le 22 décembre, l’île de Rapa, baptisée Oparo du nom que lui donnaient ses habitants. A Tahiti, Vancouver, à l’ancre baie de Matavai, rencontra divers chefs dont Pomare.
Le 24 janvier 1792, il mit le cap sur les îles Sandwich, gardant en mémoire la fin tragique de son commandant treize années plus tôt. Le 1er mars 1792, la Discovery et la Chatham parvenaient sur les côtes hawaiiennes, mais à la surprise des officiers, les indigènes entendaient certes commercer et ravitailler les bateaux et équipages mais exigeaient, en échange, des armes et des munitions. Trafic auquel Vancouver refusa catégoriquement de se soumettre.
A Hawaii, Vancouver rencontra le grand chef Ka’iana (Tianna) qui avait eu l’occasion, en 1797, de voyager jusqu’en Chine à bord d’un navire de commerce (le Nootka, capitaine John Meares). L’Anglais comprit vite que son interlocuteur voulait s’emparer de ses deux navires ; il le fit reconduire à terre et poursuivit son cabotage jusqu’à rencontrer un autre Hawaiien, Kalehua, parlant fort bien anglais puisqu’ayant navigué lui aussi sur un navire faisant le commerce de fourrures entre la côte nord-ouest des Amériques et la Chine. Kalehua, surnommé Jack, se révéla un guide de très bon conseil et un interprète fiable. C’est par son intermédiaire que Vancouver put rencontrer les grands chefs de l’île de Hawaii.

Le voyage se poursuivit par Maui, Kaho’olawe, Moloka’i, Lana’i et enfin Oahu où Vancouver parvint (à Waikiki) le 7 mars 1792. Les équipages ne trouvèrent que peu d’habitants, les chefs de l’île étant à Moloka’i pour préparer la riposte à une invasion redoutée du chef Kamehameha depuis Hawaii.

A Oahu, l’accueil fut donc froid, distant, méfiant, Vancouver notant la différence entre la réception reçue à Tahiti et celle de Oahu. Le 1er mars 1792, les navires arrivèrent à South Point sur la côte ouest de Hawaii où les négociations avec les indigènes se passèrent mal, ceux-ci réclamant à cor et à cris des armes à feu comme ils en obtenaient des navires de commerce, ce que leur refusa Vancouver, qui, finalement, décida de se ravitailler à Kaua’i, qu’il atteignit le 9 mars.

Dépopulation effarante

De cette première exploration des îles Sandwich, Vancouver en tira à la fois de la confiance dans les chefs qu’il avait rencontrés (à l’exception de certains tout de même) et une relative méfiance, les relations entre Européens et Hawaiiens ayant été à de nombreuses reprises entachées d’incidents voire d’actes d’hostilité. Vancouver constata également que la dépopulation dans l’archipel était effarante comparée à ce qu’il avait vu treize années plus tôt ; mais ne comprenant pas que les maladies importées, comme la grippe, tuaient les Hawaiiens, il mit ce désastre démographique sur le compte des guerres intestines entretenues par le commerce des armes à feu.

C’est lors de ce premier long séjour hawaiien que Vancouver conçut l’idée de rapprocher les deux nations, la Grande-Bretagne et les îles Sandwich. Une idée vague, imprécise, mais il sentait qu’il avait quelque chose de plus à faire que de la simple observation.
De mars 1792 à janvier 1793, Vancouver explora la côte nord-ouest de l’Amérique avant de revenir à Hawaii mi-février 1793. Le commerce avec les indigènes en quête d’armes était toujours impossible, jusqu’à ce que, fort ingénieusement, Vancouver songe à leur expliquer que le roi George avait mis un “kapu” (un tabu) sur les armes ; les Hawaiiens, vivant dans un régime complexe de kapu incontournables, le comprirent et décidèrent alors de négocier normalement, sans plus réclamer de mousquets et de fusils.

Somptueuse parade et “hongi”

Les relations entre Britanniques et Hawaiiens étaient au beau fixe. Devant Kailua, Vancouver entra enfin en contact avec le chef montant de la grande île, Kamehameha, qu’il avait rencontré très jeune, en 1779. Il en avait gardé le souvenir d’un guerrier agité, féroce, instable et c’est un interlocuteur posé et calme qu’il fit monter à bord, accompagné de l’un des deux Européens lui servant de conseiller et de traducteur, John Young.
Un peu plus tard, à Kealakekua Bay, Kahemaheha offrit aux Britanniques une somptueuse parade à bord de onze grande pirogues doubles : motif du déplacement du futur maître de Hawaii, savoir si le roi George était ou non son ami. Rassuré, Kakehameha salua Vancouver par un hongi (nez contre nez) témoignant de sa confiance ; Vancouver en profita pour débarquer moutons et bétail en vue de diversifier les sources de nourriture des Hawaiiens.

Au fil de leurs contacts, les Britanniques prirent alors la mesure des pouvoirs de Kamehameha qui semblait, à l’évidence, déjà être le roi incontesté de toute l’île de Hawaii ; le commerce devait donc se faire, comme il le demandait, exclusivement avec lui. Le rapprochement entre le chef hawaiien et le commandant britannique se fit de plus en plus étroit mais l’ambiance de guerre entre les clans et surtout les îles contrariait au plus haut point Vancouver qui se fit l’apôtre, auprès de tous ses interlocuteurs, de la paix nécessaire au bien-être de tous. Partout il fut écouté avec attention et respect, mais personne n’était dupe : Kamehameha avait mis la main sur tout Hawaii, il ne s’arrêterait pas là et ferait la guerre aux autres îles, ce qui fut le cas après le retour en Europe de Vancouver. Celui-ci alla jusqu’à suggérer –avec insistance– que Kamehameha se contente de régner sur Hawaii laissant aux autres chefs leur autorité sur leurs îles respectives.
A Hawaii, Kamehameha ne lésina pas sur les moyens pour faire étalage du luxe de sa cour et de sa puissance. Il voyait dans cet explorateur britannique le meilleur moyen de parvenir à agrandir son influence dans l’archipel.

Un manteau de plumes jaunes...

Kamehameha 1er eut bien du mal à comprendre pourquoi les Britanniques, si empressés lors des passages de George Vancouver, demeurèrent par la suite indifférents à ce qui leur appartenait de droit, à savoir la grande île de Hawaii...
Vancouver fut écouté, mais pas entendu bien sûr, l’avenir le prouva. Mais au fur et à mesure de ses propositions de paix, il devenait de plus en plus évident pour Vancouver que seule une souveraineté de la Grande-Bretagne agissant un peu comme un gendarme vis-à-vis des chefs belliqueux comme des visiteurs étrangers pouvait garantir la stabilité de l’archipel.
Le 9 mars 1793, Vancouver quitta une seconde fois Hawaii, ayant reçu de Kamehameha le plus précieux des cadeaux, un manteau de plumes jaunes destiné au roi George. Les deux navires anglais cabotèrent jusqu’à Oahu qu’ils atteignirent le 20 mars 1793, toujours à Waikiki. Le 29 mars, cap était mis sur les côtes nord-américaines ; Vancouver avait prêché la paix 48 jours dans quatre îles. Sa troisième et dernière visite était déjà programmée pour 1794, la Discovery parvenant à Hawaii le 9 janvier 1794, après avoir quitté la Californie vingt-quatre jours plus tôt.

L’accueil fut plus que chaleureux et amical, même si Vancouver, parvenu à Hilo, sur la côte est de Hawaii eut du mal à décider Kamehameha de lui trouver un mouillage plus sûr ; les vagues étaient belles, le roi aimait le surf et ne souhaitait pas changer de... spot. Finalement, le 13 janvier, les Britanniques ancrèrent dans la soirée à Kealakekua Beach. Le jeune roi de l’île fit très vite comprendre à ses hôtes qu’il entendait être leur seul interlocuteur pour tout ce qui concernait le commerce. Vancouver ramenait du bétail de Californie, bétail sur lequel fut placé un kapu de dix ans pour assurer sa tranquille reproduction. Comme d’habitude les règles de cohabitation étaient strictes chez les Britanniques (très limités dans leurs déplacements) comme chez les Hawaiiens, de manière à éviter tout incident. Kamehameha autorisa tout de même les Anglais à entreprendre l’ascension du Mauna Loa (4 169 m) et du Hualalai (2 521 m).

Kamehameha fait don de son île

A ce moment-là de sa connaissance des îles Sandwich, Vancouver, toujours aussi partisan de la paix, milita très ouvertement pour que la Grande-Bretagne prenne le contrôle de l’archipel. Il ne ménagea pas ses efforts pour convaincre ses interlocuteurs, leur permettant notamment de construire sur place le premier navire de type européen grâce au savoir-faire –largement partagé– de ses charpentiers. Un Anglais, James Boyd supervisa la construction d’un petit schooner baptisé Britannia, bateau et savoir-faire qui enchantèrent Kamehameha. Au point que celui-ci finit par accepter l’idée de la cession de Hawaii à la couronne britannique, rassuré par le fait que les chefs locaux, dont lui bien entendu, conserveraient toutes leurs prérogatives, la Grande-Bretagne n’étant là que pour assurer un harmonieux développement de l’archipel en le protégeant des trafiquants de tout poil et des manœuvres d’autres puissances étrangères. Vancouver alla jusqu’à permettre à Kamehameha de renouer avec sa favorite, tombée en disgrâce, Ka’ahumanu. Conseiller conjugal, voilà qui débordait largement de sa mission initiale...

Un refus méprisant de Londres

Certes, le Britannique comprit vite que sa proposition de cession ne pouvait pas être étendue à toutes les îles de l’archipel ; il manquait de temps. Mais en revanche, la cession de la grande île de Hawaii était possible et c’est cet objectif que se fixa Vancouver.
Nous l’avons écrit au début de ce récit, le 25 février 1794, Hawaii devenait solennellement une propriété de la Couronne. Après la prise de possession sur la Discovery, les couleurs d’Albion furent hissées sur la côte. Le 24 mars 1794, les bâtiments anglais mirent les voiles en direction de l’Amérique dans l’optique de rentrer au pays. Ce qu’ils firent le 2 octobre 1795, après avoir fait escale à Nootka Sound, Monterey, l’île Coco, les Galápagos, Juan Fernandez et Valparaiso (en avril 1795).
On remarquera qu’au terme de plus de quatre années et demi de voyage, sur cent cinquante-trois hommes d’équipage, Vancouver n’en avait perdu que cinq au cours d’accidents et un à cause d’une fièvre contractée sur un autre bateau au Brésil.
Une fois à Londres, Vancouver comprit très vite que ses efforts ne seraient pas récompensés ; ni l’Amirauté ni le Parlement ni le roi n’accordèrent la moindre attention à cette annexion qui ne faisait certes pas partie de la mission du navigateur. Quelque peu désabusé et amer face à cette indifférence et à ce mépris, Vancouver rédigea le récit de son expédition, la plus longue de l’époque et s’éteignit le 12 mai 1798 à Petersham (Surrey). Il n’avait que 40 ans.
De son côté, Kamehameha attendit, en vain, l’assistance promise, Londres ne daignant pas entériner cette prise de possession pourtant éminemment stratégique dans le grand océan.
Un an plus tard, Kamehameha reprit ses offensives jusqu’à conquérir toutes les îles de l’archipel hawaiien (l’unification totale se fit en 1810).
Du moins la présence des couleurs anglaises sur Hawaii calma-t-elle un temps les ardeurs des capitaines peu respectueux des Hawaiiens. La crainte de représailles n’empêcha pas cependant le commerce des armes de très vite reprendre de plus belle...

Attaqué la veille de la mort de Cook

Le peintre Johann Zoffany n’a pas eu le temps d’achever cette toile illustrant la mort de James Cook le 14 février 1779. A l’époque, les Hawaiiens n’avaient pas encore d’armes à feu. Vancouver était présent lors du drame, il avait même été attaqué la veille.
Lors de son troisième voyage dans le Pacifique, le capitaine James Cook, on le sait, trouva la mort sur une plage de Hawaii, à Kealakekua Bay, le 14 février 1779. Cette mort était évitable si Cook avait bien voulu tenir compte des faits s’étant produits la veille, le 13 février. Ce jour-là, un indigène vola des outils sur la Discovery ; quatre hommes, dont Vancouver et le lieutenant Edgar Thomas, furent envoyés à terre pour les récupérer ; ils furent rejoints en route par une chaloupe de la Resolution. Ils croisèrent alors une pirogue hawaiienne ramenant les outils à la Discovery, mais les Anglais continuèrent leur chemin, bien décidés à attraper le voleur et à le punir. Le chapardeur avait déjà touché la plage et s’était enfui dans les terres. Les marins, ne pouvant s’engager sur un terrain inconnu, décidèrent alors de prendre la pirogue du voleur en otage. Malheureusement, l’embarcation appartenait non pas au voleur, mais au chef Palea, qui protesta, vite rejoint par une troupe nombreuse d’Hawaiiens. Dans la confusion qui s’ensuivit, Edgar Thomas fut saisi par Palea qui reçut d’un marin un coup de rame. Ce fut le signal, pour les Hawaiiens, du déclenchement des hostilités ; bombardés de pierres, les Britanniques abandonnèrent Edgar Thomas à demi assommé sur un rocher et prirent la fuite sur la barque de la Discovery, car la pinasse de la Résolution s’était échouée. Thomas allait être tué d’un coup de casse-tête lorsque Vancouver, resté à terre, s’interposa, reçut le coup et se retrouve KO.
Le chef Palea, voyant que la situation dégénérait, ramena le calme dans ses troupes ; il partit récupérer les rames volées avec Thomas et à leur retour, ils constatèrent que les Hawaiiens s’étaient surtout acharnés sur Vancouver, qu’ils avaient battu et à qui ils avaient volé son couvre-chef.
Thomas, Vancouver et les hommes restant profitèrent de la présence de Palea exigeant de ses guerriers qu’ils cessent le combat pour s’enfuir. Cook fut immédiatement informé de l’incident qui témoignait des tensions entre indigènes et visiteurs ; dans la journée, le couvre-chef de Vancouver fut rendu mais dans la nuit la barque de la Discovery fut volée, déclenchant le retour à terre le 14 février de Cook lui-même, qui trouva alors la mort.
Le même jour, Vancouver, accompagnant le lieutenant King, fut renvoyé à terre pour tenter de récupérer la dépouille de Cook. Les Anglais ne récupérèrent que des morceaux du corps de leur capitaine qui eut ainsi droit à une cérémonie funèbre dans la baie de Kealakekua. Certes, le vol d’une barque était grave, mais Cook, informé de la mésaventure de Thomas et Vancouver la veille, aurait dû, élémentaire prudence, éviter de se rendre lui-même à terre...

La tragédie du Daedalus

La tombe de Vancouver devant l’église de Petersham en Grande-Bretagne, là où il est mort à seulement 40 ans.
Après le départ de la Resolution et de la Discovery (janvier et février 1791), l’Amirauté décida de renforcer l’expédition de Vancouver avec un troisième bateau, le Daedalus, commandé par le lieutenant Richard Hergest. Le navire, parti en août 1791, gagna les îles Hawaii mais parvint à Oahu sans avoir fait sa jonction avec le gros de l’expédition. Son capitaine ainsi que l’astronome William Gooch et un marin furent traîtreusement tués à Waimea (Oahu) alors qu’ils ne faisaient que rechercher de l’eau. L’attaque par un groupe de guerriers de Pahupu eut lieu le 12 mai 1792. Les trois hommes furent tués car leurs attaquants parvinrent à les isoler du groupe armé embarqué pour cette corvée d’eau.
Le Daedalus était passé par le cap Horn, avait fait escale aux Marquises avant la tragédie de Oahu.
Lorsque les trois navires furent enfin réunis, à Nootka sur la côte ouest de l’Amérique, c’est le lieutenant Thomas New qui remplaçait Hergest.
Vancouver, très mécontent de cette tragédie, demanda des comptes à son retour à Hawaii et il lui fut répondu que trois hommes, les coupables, avaient été arrêtés et exécutés. De retour à Oahu, loin d’être convaincu, Vancouver somma les chefs de lui livrer les vrais coupables. Trois hommes lui furent présentés et au terme d’un rapide jugement, ils furent fusillés.
Plus tard, les chefs hawaiiens avouèrent que ces trois hommes étaient innocents mais qu’ils les avaient donnés à Vancouver pour calmer sa colère sachant que de toutes les façons ils étaient condamnés car ils avaient violé des kapu (des tabu).

Très brève histoire d’amour à Tahiti

Parmi l’équipage de l’expédition figurait le Hawaiien Kualelo (appelé Towereroo par les Anglais). Il s’était lié d’amitié avec le capitaine Charles Duncan et embarqua depuis Moloka’i en 1788 à bord de la Princess Royal. Il visita la Chine, puis reçut de l’instruction à Londres avant d’accompagner à nouveau Duncan dans l’exploration de la baie d’Hudson. De retour en Angleterre, sir Joseph Banks l’informa qu’une expédition allait partir pour les îles Hawaii ; le jeune Hawaiien demanda à rentrer chez lui, mais, surprise, lors de l’escale de Vancouver à Tahiti en décembre 1791, Kualelo tomba amoureux d’une des vahine qu’il rencontra et décida de rester à Tahiti. Le chef Pomare lui accorda sa protection quelques jours, puis une brouille s’instaura et finalement Pomare fit rembarquer Kualelo. Celui-ci ne put débarquer à Moloka’i qui subissait une dramatique famine. Installé finalement à Hawaii, il fut très apprécié de Kamehameha ; Kualelo reçut en présent une plantation et fit un heureux mariage avec une fille de chef, ce qui lui permit de contrôler environ deux cents personnes. Néanmoins, son statut, son Anglais parfait, son entregent firent naître bien des jalousies. Vancouver dut même intervenir une fois pour qu’il ait la vie sauve. On ne sait pas ce qu’il devint par la suite...

L’actuelle ville de Vancouver ainsi nommée en hommage à l’explorateur dont le travail diplomatique à Hawaii fut remarquable, mais jamais reconnu dans son pays. Imaginons que Hawaii soit réellement devenue britannique dès le 25 février 1794, comme l’avaient souhaité Kamehameha et Vancouver...

Dans l’Etat de Washington, Vancouver fit escale devant les neiges du mont Rainier ; il avait nommé ainsi ce volcan en hommage à son ami le contre-amiral Peter Rainier. Son nom indien signifiait “là où naissent les eaux”.

Rédigé par Daniel Pardon le Vendredi 16 Octobre 2020 à 09:00 | Lu 2103 fois